
06 juillet 2021
La pandémie a considérablement stimulé le commerce électronique, mais au détriment du commerce traditionnel. En termes de gestion, la stratégie Océan Bleu désigne un marché où tout produit ou service est quasiment inexistant. Cette stratégie permet de créer et de conquérir une part de marché incontestée, rendant la concurrence obsolète. Les géants du e-commerce investissent, explorent et exploitent cet Océan Bleu afin de devenir des acteurs incontournables. Bien que le marché ne soit pas encore mûr, ces mastodontes aux ressources considérables ont le temps et les moyens de récolter les fruits mûrs. Le marché est extrêmement attractif. Selon une estimation, il devrait atteindre 200 milliards de dollars d'ici 2027, contre 64 milliards en 2020. L'Inde compte près de 286 millions de foyers. Parmi eux, environ 65 % (près de 186 millions) ont un revenu annuel brut moyen compris entre 150 000 et 1 000 000 de roupies. Cette part importante du marché représente un appât prometteur pour le e-commerce à bas prix. Grâce à Reliance, l'accès à Internet est devenu très abordable pour la plupart des Indiens, incitant ainsi les consommateurs potentiels à explorer les plateformes de e-commerce.
D'après nos estimations, l'économie numérique indienne atteindra 800 milliards de dollars d'ici 2030. La même année, les ventes des épiceries de quartier (kiranas) avoisineront les 1 500 milliards de dollars. Le volume brut de marchandises (VBM) du commerce de détail en ligne devrait quant à lui s'élever à 350 milliards de dollars. D'ici 2030, l'Inde deviendra le troisième marché mondial du commerce de détail en ligne, après les États-Unis et la Chine. En 2020, 20 millions de nouveaux acheteurs ont rejoint les plateformes de commerce électronique, et ce chiffre pourrait atteindre 40 millions cette année. La base d'utilisateurs devrait atteindre 190 millions d'ici fin 2021. Les ventes de 2020 s'élèvent à 38 milliards de dollars et pourraient atteindre 55 milliards de dollars d'ici fin 2021, soit une croissance phénoménale de 45 %. Il est intéressant de noter que cette croissance sera principalement due au fait que 88 % des nouveaux acheteurs en ligne proviennent des villes de deuxième, troisième et quatrième rangs. De nouveaux modèles de commerce électronique émergent et alimentent cette croissance, tels que les réseaux sociaux, la vidéo et le marketing d'influence. Surtout, alors qu'auparavant 70 % des acheteurs en ligne étaient attirés par les prix agressifs (ou fortes réductions) proposés par ces plateformes, aujourd'hui, plus de 50 % d'entre eux privilégient la praticité. Le délai de livraison moyen a été réduit des deux tiers. Les livraisons de proximité et express sont désormais disponibles.
| Géant du commerce en ligne | |
| Année | GMV (milliards de dollars) |
| 2020 | 38 |
| 2021 | 55 |
| 2025 | 140 |
| 2030 | 350 |
Le commerce en ligne devrait à lui seul créer environ 1,48 million d'emplois d'ici 2021. Et pour chacun de ces emplois, les industries en aval en génèrent 3 à 4 supplémentaires. Le secteur est donc très prometteur. Mais une question cruciale se pose : ce segment sera-t-il finalement dominé par de grands acteurs qui, sans une régulation prudente, évolueront dans un marché oligopolistique ? Qu'adviendra-t-il de nos commerces de proximité ? Les prix prédateurs, destinés à éliminer la concurrence, seront-ils remplacés par des prix intégrant des marges anormalement élevées ? Nous avons déjà constaté qu'Amazon et Flipkart (comprenez Walmart) ont été accusés de favoriser certains vendeurs sur leurs plateformes, en violation des règles de la concurrence loyale. Dans une économie numérique reposant sur l'intelligence artificielle, l'apprentissage automatique et d'autres technologies, il est facile de développer des algorithmes permettant d'éliminer la concurrence. Ces entreprises concluaient également des accords d'exclusivité et/ou vendaient certains produits/modèles exclusivement sur leurs plateformes. N'oublions pas que les acteurs à capitaux étrangers sont autorisés à opérer sur le modèle de « place de marché », qui leur interdit de privilégier certains vendeurs, notamment ceux dans lesquels ils détiennent des participations. Ils n'ont pas le droit de pratiquer des modèles basés sur la gestion des stocks. Pourtant, ils le font, et bien plus encore. Il est donc impératif de les encadrer et d'appliquer des lois et réglementations qui protègent les intérêts des vendeurs et des consommateurs indiens. On peut également atteindre cet objectif en stimulant la concurrence et en facilitant l'entrée de nouveaux acteurs. Autrement, la concentration du marché entraînera une centralisation et une entente illicite sur les approvisionnements, pénalisant à la fois les petits acteurs et les consommateurs non protégés. Par ailleurs, il est important de noter qu'aucun vendeur ne peut proposer un prix inférieur au coût de revient sur le long terme ; les fortes remises ne peuvent se maintenir que si les vendeurs sont mis sous pression. Si l'on n'y prend garde, il se pourrait que les consommateurs se retrouvent bientôt confrontés à un choix limité, aux prix du « marché » (fixés par les acteurs en situation de monopole), tandis que les vendeurs seront eux aussi confrontés à des acheteurs en situation de monopsone.
Personne de sensé ne devrait s'opposer au commerce électronique, compte tenu de ses nombreux avantages. En 2021, on prévoit l'emploi d'un demi-million de travailleurs indépendants dans le secteur du commerce de détail en ligne. Les entreprises de logistique indiennes ont enregistré plus de 3 milliards d'expéditions en 2020, dont près de 800 milliards ont été effectuées par des prestataires logistiques tiers. Le commerce en ligne a rendu les produits accessibles même aux petites villes. L'Inde peut utiliser ces plateformes pour être compétitive à l'échelle mondiale. De nombreuses PME ont pu accéder aux marchés nationaux et internationaux grâce à ces places de marché. En bref, l'écosystème du commerce électronique en pleine expansion a contribué de manière significative à l'économie indienne, tant pour les consommateurs que pour les producteurs. Cependant, il est impératif d'empêcher toute pratique abusive. Les nouvelles règles proposées pour le commerce électronique doivent impérativement trouver un juste équilibre. Les deux acteurs, Amazon et Flipkart, ont affirmé que, si elles étaient adoptées comme loi, ces règles augmenteraient les exigences de conformité des entreprises de commerce électronique, tout en limitant leurs possibilités de croissance commerciale, car les remises importantes, si elles étaient autorisées, pourraient restreindre la croissance des marques privées et elles ne bénéficieraient probablement pas du statut d'« intermédiaire », car elles seraient soumises à un mécanisme de responsabilité de dernier recours si les consommateurs subissaient des pertes en raison des actions du vendeur.
Pourtant, qui peut nier la croissance exponentielle fulgurante des géants du e-commerce depuis leur apparition ? Mais cette expansion s'est appuyée sur des pratiques douteuses telles que les prix prédateurs, les faux avis clients, les algorithmes manipulés influençant les achats des consommateurs et la promotion de vendeurs privilégiés. À moyen terme, il faudra sans doute ajouter des pratiques contraires à l'éthique comme l'exploitation de la main-d'œuvre, la mainmise sur d'autres secteurs comme la banque, la finance et l'assurance (une crainte récemment exprimée par la RBI), et bien d'autres encore. Saviez-vous que Jeff Bezos gagne 11 millions de roupies par minute et possède une fortune accumulée de près de 180 milliards de dollars ? En Inde, le secteur du commerce de détail traditionnel est le deuxième plus grand pourvoyeur d'emplois après l'agriculture. Le gouvernement n'agit-il pas trop tard ? Il est à noter que la plupart des amendements proposés sont déjà en vigueur, sous une forme ou une autre. Il est nécessaire d'affiner une politique du e-commerce qui devienne la pierre angulaire du commerce en ligne. Le gouvernement doit trouver un juste équilibre en la rendant impartiale et transparente. Bien que ce règlement ne doive pas être édulcoré sous la pression, s'il nécessite de nombreuses réécritures pour répondre aux exigences d'objectivité, qu'il en soit ainsi.